Carretera austral : la route de l'aventure et des rencontres
Du 6 au 20 février 2011
A vrai dire quand l'été dernier une amie qui a fait le tour d'Amérique du sud en vélo nous a dit "La Carretera austral est la plus belle route de mon voyage", ça nous a mis la puce à l'oreille. Mais à l'époque, nous ne savions pas exactement où elle se situait : il s'agit des 1240km de route (le plus souvent de piste) qui relie Puerto Montt à Villa O'Higgins. En-deçà, le "Campo de Hielo Sur" (3ème plus grand champ de glace au monde après l'Antarctique et le Groenland) empêche toute progression plus au sud par le Chili.
Depuis l'Australie, nous avions l'impression que tout était trop facile. En se lançant sur la Carretera Austral, nous retrouvons avec plaisir le sens de l'aventure. Sur les centaines de kilomètres qui nous mènent au cœur de la Patagonie chilienne, il n'y a presque pas de bus (2-3 liaisons par semaine entre chaque bled), d'Internet (on s'en passera) et de distributeurs automatiques (beaucoup plus problématique) ! En revanche, les temps d'attente de bus et les galères nous permettrons de rencontrer plein de voyageurs !
De Chaiten à Coyhaique - du 6 au 8 février
Arrivés à 17h à Chaiten après 8h de traversée en ferry depuis Castro (île de Chiloé), nous avons l'impression de débarquer dans une ville fantôme... Nous sillonnons la ville pendant 2h à la recherche d'une hospedaje, ou au moins d'âme qui vive ! Depuis l'éruption de 2008 et de l'inondation de la ville qui s'en est suivie, 80% de la population a déserté sa maison. Les rues son vides, les jardins encore couverts de cendres, seules quelques maisons arborent un drapeau chilien signalant une présence. Les habitants qui restent nous regardent, à travers leurs carreaux poussiéreux, d'un air méfiant... Seule la jeune femme de l'Office du tourisme nous apporte son aide pour trouver logement et transport.
Nous ne nous attardons pas, d'autant plus que nous nous rendons compte que nous n'avons presque plus d'argent et qu'il n'y a plus de banque à Chaiten... Nous espérons tenir jusqu'à Coyhaique, la prochaine grosse ville. Départ dès le lendemain pour la Junta. Armés de patience, nous attendrons le bus pendant 3h30 ! Ça met tout de suite dans l'ambiance !
Premiers kilomètres sur la route australe : l'asphalte laisse rapidement place à la poussière. La piste serpente dans des paysages vallonnés de moyenne montagne. Au détour des virages, le bleu turquoise des rivières nous surprend au milieu du vert intense des forêts. Pas moyen de s'arrêter pour profiter plus longuement de ce spectacle trop éphémère : triste condition du voyageur en bus...
Nous descendons à La Junta en fin d'après-midi, dans la chaleur et la poussière. Le village semble centré sur l'unique point d'intérêt pour beaucoup de voyageurs : sa station-service ! Pour nous la priorité est d'acheter notre billet de bus pour Coyhaique. Avec nos fonds de poche, il faudra se loger et se nourrir. Heureusement, nous trouvons une chambre pas trop chère (CH$6000/pers.) et préparons un diner frugal. Etonnamment, au milieu de nulle part, la famille qui nous loge dispose d'un modem Wifi, ce qui nous permet d'apprendre la naissance de notre neveu !
Lever avant l'aube pour prendre l'unique bus de 5h30 pour Coyhaique. La route magnifique s'élève dans les montagnes, surmontées de glaciers, sur lesquelles le soleil se lève. Nous traversons de minuscules villages et estancias isolées. Incroyable d'imaginer des gens vivre ici !
Coyhaique, la seule grande ville de la région, est entourée de steppe et de collines sédimentaires aux falaises colorées. Nous y aurions bien passé quelques jours mais souhaitons profiter d'une fenêtre météo pour le trek de Cerro Castillo qui nous attend un peu plus au sud. Arrivés à 13h, le premier bus pour Villa Cerro Castillo est le lendemain. Finalement, nous trouvons une voiture particulière qui nous y emmènera en fin de journée. Les quelques heures devant nous nous permettent de préparer la rando (courses, recherche de carte auprès de la CONAF) et de se connecter à Internet pour lire les nombreux messages d'anniversaire qui m'attendent : 30 ans au milieu de nulle part, ça se fête !
Toutes les photos de Chaiten à Coyhaique ICI
Trek de Cerro Castillo (3-4 jours, moyen à difficile) - du 8 au 12 février
A Villa Cerro Castillo, nous plantons la tente dans un petit camping en bord de rivière, mais passons la soirée dans un resto isolé où le proprio, seul, nous propose les derniers morceaux qui lui reste.
1er jour : Départ à 7h en minibus vers le lieu-dit Las Horquetas où démarre la randonnée. Nous prenons le temps d'avaler un petit-déjeuner avant de nous lancer vers 8h30. Nous marchons avec un israélien, physicien spécialiste des particules... plutôt taciturne. Pendant les 18 premiers kilomètres, le terrain est facile, principalement plat. Il y a juste des dizaines de rivières et ruisseaux à traverser, et pas toujours de passerelles en bois ou cailloux. A plusieurs reprises, nous devons retirer les chaussures. Parfois, nous tentons de jouer les équilibristes et de passer à pieds secs. Ça ne marche pas à tous les coups ! A 13h45, nous atteignons déjà la campement de Rio Turbio, lieu de camp théorique de la première journée. On ne va pas déjà s'arrêter !
Nous décidons de poursuivre. Cela nous permet de gagner une journée de trek et d'éviter la pluie prévue pour notre 4ème jour. Le sentier s'élève ensuite dans la forêt pour atteindre un pierrier et le col que nous traversons les pieds dans la neige ! Nous ne sommes qu'à 1000m d'altitude, mais déjà dans un environnement de haute montagne ! Dans la descente, en plein milieu d'un pierrier bien pentu et qui menace de s'ébouler, qui croise-t-on ? Tomek et Paulina ! Partis 2 jours avant nous de Chiloé, nous ne pensions pas pouvoir les rattraper sur le trek. En fait, nous avons gagné une journée sur eux et la coïncidence fait qu'ils font le trek à l'envers.
Dans le pierrier qui s'éboule, Stan et moi chutons sans gravité. Mais pour moi, ça n'a pas d'importance, la pente générale est moins longue et pentue qu'à Bariloche et je n'ai pas le vertige ! Pas facile de rejoindre le campement El Bosque. Il faut être très attentif aux cairns (tas de pierres) qui indiquent le chemin qui serpente dans la moraine, la forêt et traverse de nombreuses rivières. Arrivés à 19h, nous repartons finalement pour atteindre la Laguna Verde où Tomek et Paulina nous ont conseillé de dormir. Nous y arrivons à 20h30 après 11h de marche !
2ème jour : Réveil tardif pour des randonneurs : 8h30 seulement. Départ à 10h30 pour profiter de la vue sur le lac vert, magnifique, surmonté de la falaise et du glacier, puis du donjon et des tourelles du Cerro Castillo. Pas le choix, pour passer de l'autre côté du lac, il nous faut traverser pieds nus la rivière gelée qui descend tout droit du glacier !
La carte nous indique un mirador, en dehors du tracé principal du trek. Nous essayons de l'atteindre en escaladant un pierrier bien pentu. Début de vertiges, j'hésite à faire demi-tour. Stan me pousse à poursuivre... Arrivés au sommet de la colline, nous savourons la vue magnifique sur Villa Cerro Castillo, toute la vallée, jusqu'au lac General Carrera. En redescendant, nous tombons sur la petite lagune que nous cherchions à atteindre. Nous sommes montés beaucoup plus haut !
Nous poursuivons notre route sur une arête avant de plonger vers le Rio Ibanez. Tout à coup, une ombre nous survole, nous levons les yeux : un condor ! Il est si près que nous pouvons voir son regard perçant nous scruter ! Le sentier dans le pierrier est très peu tracé et il y a peu d'indications sur le chemin à suivre (cairns, piquet ou peinture rouge et blanche). A chaque piquet, nous essayons de trouver le suivant, pas toujours visible immédiatement. Nous sommes obligés d'être hyper attentifs pour ne pas se perdre ! La descente dans le pierrier est éprouvante : on ne peut se fier à aucune pierre même si elles sont grosses ou plates. La plupart menacent de se décrocher et de glisser. Difficile pour les pieds et les chevilles !
Après 7h sous le cagnard, nous atteignons enfin l'ombre, puis le campement Los Porteadores, archi plein. Nous, on continue jusqu'au Campemiento Neo-Zelandes que nous atteignons une heure plus tard. Il n'y a pas foule : deux américains et nous !
3ème jour : Objectif de la matinée : trouver la Laguna Duff que nous atteignons finalement en 1h30. Difficile de trouver le sentier. Nous sommes un peu comme des Sioux à l'affût de branches écrasées ou d'herbes allongées. Nous passons pas mal de temps à reconstruire les peu de cairns existants ou à en ajouter. Nous découvrons enfin la Laguna Duff d'un bleu intense, superbe !
La descente en dessous du campement Los Porteadores est longue et assez pentue. Au pied de la montagne, la route poussiéreuse de 6km, qui nous ramène jusqu'au village, est interminable ! Le vent s'est levé et des nuages de poussière nous recouvrent de la tête au pied d'une couche beige ! Enfin de retour à Villa Cerro Castillo, nous trouvons l'hospedaje où Paulina nous a réservé une chambre, parfait ! Ils nous ont laissé un message en quittant la ville : rendez-vous à Puerto Rio Tranquillo !
Quitter Villa Cerro Castillo n'est pas aisé. Arrivés pile à l'heure annoncée à "l'arrêt de bus" (la Querencia Café), il y a déjà 8 israéliens qui attendent ! 2 bus passent avec seulement 5 places disponibles... C'est tout pour aujourd'hui ; il va falloir se débrouiller autrement ! Nous retournons sur la route principale où nous retrouvons les 2 américains rencontrés sur le trek : Sarah et Tom. Après 3h d'attente et tentative de stop, nous arrivons finalement tous à trouver une solution : stop pour eux, et finalement nouveau bus pour nous.
Toutes les photos de Cerro Castillo ICI
De Puerto Rio Tranquillo à Caleta Tortel - du 12 au 17 février
A Puerto Rio Tranquillo, nous retrouvons Paulina et Tomek, Sarah et Tom, et Felipe, un chilien également rencontré sur le trek de Cerro Castillo. Nous passerons tous ensemble une bonne soirée au resto.
Le lendemain, nous bookons un tour en bateau pour apprécier les Cuevas et la Capilla de Marmol, étranges grottes de marbre façonnées par les vagues du lac Général Carrera. Sur le bateau, nous faisons la connaissance d'un autre français de Levallois (!), Alexis, également en voyage pour longtemps après avoir quitté son job dans la finance à New-York.
Puis nouvelle attente, longue, d'hypothétiques bus avec tout un tas de voyageurs. Finalement et après âpre négociation avec le chauffeur, nous arrivons à obtenir les dernières places dans le seul bus qui va à Cochrane ! En cours de route, montent Eli (israélien) et Katerine (suisse), qui se joindront à notre petite "bande" (Tomek, Paulina, Felipe) pour louer une cabana.
Nous arrivons juste à temps à Cochrane pour profiter de la dernière soirée du festival folklorique de la région ! Au programme, tout l'art de vivre Gaucho : rodéo et défilés de chevaux, asado de cordero (mouton au barbecue) et concert haut-en-couleur !
Nos 2 jours à Cochrane pourraient se résumer en "lazy days". Il pleut et nous ne faisons pas grand chose, à part manger ! Felipe nous fait découvrir la tradition du maté, thé vert fort qui se partage entre amis.
Une nouvelle fois, nous nous faisons piégés par le manque de banque, et cette fois-ci pour de bon. Le seul ATM de Cochrane ne fonctionne qu'avec les Mastercard et le guichet ne peut rien pour nous, à part nous suggérer de retourner à Coyhaique... Heureusement, nous pouvons compter sur Tomek et Paulina ! Nous ne vanterons jamais assez la robustesse et l'efficacité de notre "banque polonaise" qui prête sans intérêt, sur un bon mois, jusqu'à CH$300.000, soit près de 500€ !
Nous quittons Cochrane pour Caleta Tortel, village à flanc de colline donnant sur un fjord. A l'entrée de la commune, toutes les voitures restent au parking. Dans cette région marécageuse, le village est uniquement construit sur des passerelles en bois qui permettent de se déplacer de maison en maison.
Nous profitons de notre halte pour aller à la découverte des environs. Nous grimpons sur les hauteurs du village où le sol est recouvert de mousses, semblables à des éponges. Lorsque l'on marche dessus, toute l'eau ressort ! Le lendemain, nous embarquons sur un petit bateau pour l'Isla de los Muertos. Étrange idée que d'aller voir une île qui abrite uniquement un cimetière de colons abandonnés à leur sinistre sort, mais on nous l'avait conseillé. Nous, on y a rien trouvé de spécial, si ce n'est que nous avons rencontré un couple de chiliens très sympa, Daniel et Patricia, qui ont travaillé à Paris et Varsovie. De quoi alimenter la conversation avec les polonais et nous !
Toutes les photos de Puerto Rio Tranquilo à Caleta Tortel ICI
Villa O'Higgins et la traversée de la frontière - du 17 au 20 février
A force de recroiser les mêmes têtes sur la route, nous connaissons maintenant la plupart des voyageurs à bord du bus qui nous conduit vers Villa O'Higgins : les chiliens, les polonais, les américains !
Loin de tout, le petit village de Villa O'Higgins est pourtant en pleine croissance grâce au tourisme. S'il n'est approvisionné que 2 fois par mois en fruits et légumes, nous sommes extrêmement surpris de découvrir qu'il y a du Wifi gratuit partout ! Une randonnée courte vers les 2 miradors nous offre une vue imprenable sur toute la vallée. Il nous manquait une journée pour poursuivre le sentier jusqu'au refuge (+ 3h) puis vers le glacier (+ 3h).
7h50 : C'est parti pour nos 2 jours de traversée de la frontière vers El Chalten, en Argentine. Premièrement, bus jusqu'au port. De là, nous embarquons pour 2h30 de traversée du lac O'Higgins jusqu'à l'estancia de Candelario Mansilla où nous déposons les premiers passagers. Nous avons choisi l'excursion complète jusqu'au glacier O'Higgins.
Le temps est magnifique mais le vent fraîchi à l'approche du Campo de Hielo Sur dont fait parie le glacier. Sur l'eau apparaissent les premiers icebergs, puis le glacier massif aux mensurations impressionnantes : 30km de long, 3km de large et 80m de hauteur. Juste un peu moins large que le fameux Perito Moreno argentin. Encore loin, nous avons l'impression d'être aux pieds d'une muraille. Les séracs pointent leurs flèches bleutées vers le ciel. Nous guettons pendant une heure ceux qui tomberont les premiers dans l'eau dans un bruit sourd. Plutôt à gauche ? Plutôt à droite ? On essaie de se tenir prêt pour immortaliser la séquence. Forcément le son de tonnerre qui accompagne la chute de glace nous arrive trop tard aux oreilles pour apercevoir le début de la chute. Nous trinquons au whisky accompagné de glaçons taillés dans un iceberg !
De retour à Candelario Mansilla, nous plantons la tente face au lac. Nous passons la soirée autour du feu avec Misha (israélo-russe), Matthias, Pierre et Sophie (belges), cyclistes rencontrés sur la Carretera Austral. A les entendre, on se dit que l'on referait bien la route à vélo !
Au lever du jour, comme nous le craignions, les chevaux qui devaient porter les bagages n'arrivent pas. Les carabineros chiliens nous donnent un coup de main en transportant nos sacs jusqu'à la frontière. La piste côté chilien était plutôt large et facile. Mais à peine avons-nous passé la frontière argentine, que le sentier se rétréci et se rempli d'eau transformant notre équipée en enfer, les pieds dans la boue et nos 50kg à deux sur le dos ! Heureusement, nous sommes récompensés de temps à autre par une vue magnifique et dégagée sur le mont Fitz Roy.
Nous arrivons à temps pour prendre un deuxième bateau sur le Lago del desierto. De l'autre côté, Il nous faudra encore un peu de patience pour attendre le bus pour El Chalten, qui n'avait pas été prévenu de notre arrivée par l'opérateur Hielo Sur...
Toutes les photos de Villa O'Higgins et la traversée de la frontière ICI
Si cette route australe est celle de l'aventure et des rencontres, elle traverse des paysages patagoniens magnifiques, joliment décris sur le blog d'autres voyageurs. Cette description reflète bien ce que nous avons pu ressentir sur la Carretera Austral :
Les montagnes de Patagonie sont bien différentes de tout ce que nous avons vu jusqu’ici : des pics, des pitons, des tours, des pointes élancées qui finissent en forme de flamme, un spectacle baroque. Mention spéciale au Fitz Roy qui fait partie de ces rares montagnes que l’on reconnaît au premier au coup d’œil, sans les avoir jamais vues avant. Pas besoin de le chercher au milieu d’une chaîne de montagnes, il trône, il domine de toute sa taille et de sa forme, on ne voit que lui, un pic élancé unique et en même temps caractéristique des montagnes andines.
Les lacs, c’est l’autre particularité de la Patagonie. Ils ne lèchent pas des pentes grasses et chargées de végétation, ils baignent les pieds de granite et de marbre de la cordillère. Alimentés par les innombrables glaciers qui peuplent la région, et dont le plus petit surclasse aisément notre Mer de glace, l’eau a une couleur et une clarté uniques. D’ailleurs, on peut tout à fait la boire telle quelle car il n’y a pas de bétail pour la polluer.
La lumière n’est pas en reste, elle est unique aussi. Elle n’est même pas gênée par la couche d’ozone qui est ici trouée. D’ailleurs le soleil brule sans réchauffer...
Les arbres de Patagonie... Des incendies gigantesques ont ravagé la Patagonie chilienne il y a 50 ans. Les arbres sont toujours là, brillants, argentés, polis par les années, soit couchés et jonchant le sol par millions, soit debouts, hérissant une forêt encore jeune qu’ils dépassent aisément. Loin d’être un spectacle désolé, cela donne de la magie au paysage, le rend encore plus mystérieux, sauvage et unique. Les arbres morts sont l’âme de la Patagonie.
Carte repère
Mis à jour (Dimanche, 22 Septembre 2013 18:17)